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samedi 10 août 2013

TORSIAC : querelle de clochers

TORSIAC – QUERELLE DE CLOCHERS POUR UNE PAROISSE (1845-1848)

En 1789, Torsiac, relève du duché de Monpensier pour les cas prévus par un règlement de l’année 1614, et pour les cas royaux de la sénéchaussée d’Auvergne appelée également sénéchaussée de Riom. La paroisse appartient à la province d’Auvergne, élection d’Issoire et de la subdélégation de Lempdes.



Dépendante du diocèse de Clermont et de l’archiprêtré d’Ardes, l église paroissiale est dédiée à Saint Saturnin.

L’Assemblée Nationale dans ses séances de 26 et 29 janvier 1790 décrète la constitution définitive du département du Velay. La délibération du 26 février suivant donne le nom de « département de la Haute-Loire » qui comprendra trois districts (futurs arrondissements) et trente deux cantons.

La loi du 17 février 1800 instituant les préfectures et les arrondissements confirme les découpages. La commune de Torsiac va donc appartenir au canton de Blesle et au district de Brioude. Sur le plan spirituel, son église est rattachée au diocèse du Puy.  





1 - Le curé de Torsiac quitte son église pour Brugeilles
A la limite des départements de la Haute-Loire et du Puy de Dôme le village de Torsiac domine la rive gauche de la rivière Allagnon.



Une querelle vient à ébranler la commune qui dispose de deux églises, une située à Torsiac (chef-lieu de la commune avec une petite dizaine d’habitants), l’autre au village de Brugeilles (plus de 220 habitants).

Le presbytère de Torsiac, pratiquement insalubre, a été abandonné par le prêtre qui a décidé d’aller vivre au village de Brugeilles située à deux kilomètres de là. Ce village dispose d’un presbytère beaucoup plus confortable que celui du village voisin.

L’église de Torsiac, elle aussi en mauvais état, est condamnée à être démolie. Malgré les timides protestations des paroissiens torsiacois, les offices sont transférés à Brugeilles en 1825 et ce recentrage entraîne inévitablement un point d’ancrage cultuel vers ce village en plein développement.


2 - Brugeilles le plus fort ?
Brugeilles_Village.jpg
Jusqu’en 1845, tout allait dans le meilleur des mondes, lorsque le châtelain local Adrien de Boisset de Torsiac décide d’utiliser le château comme résidence secondaire. Cette nouvelle est agrémentée de la ferme intention de rétablir le culte à Torsiac, auquel appartient le droit, et d’y faire construire une église.

Mais à Brugeilles, on joue sur la prédominance du nombre de paroissiens.

En 1820, à l’instar de Torsiac qui ne compte que 11 habitants, Brugeilles domine l’ensemble de la commune avec ses 226 habitants.

En 1846, la population de Torsiac augmente de quelques unités. Outre les membres de la famille de M. de Torsiac, la population en grande partie composée du personnel du château, atteint 23 habitants.

Mais la grogne s’installe à Brugeilles lorsqu’on apprend que le funeste projet du châtelain commence à prendre forme.

Avec l’argent des contribuables, la construction de la nouvelle église de Torsiac avance. Le châtelain qui avait promis de céder gratuitement le terrain pour la construction de l’édifice et de son presbytère exécute sa promesse. Cette opération est appuyée par le conseil municipal du 13 mai 1846 qui accepte cette cession.

La décision du conseil municipal est validée par le Sous-Préfet de Brioude en août 1846, l’évêque du Puy fait de même le 26 septembre 1846, accompagné en cela par le Préfet le 2 novembre suivant.






3 - C’est l’heure des distensions …
Chateau_de_Torsiac.jpg
La tension monte. A l’ un des représentants des paroissiens de Brugeilles, l’évêque affirme que « la loi est pour Torsiac » et complète ses propos en précisant son approbation à la présence permanente du curé à Torsiac, tout en « donnant des soins » à Brugeilles.

Coup de massue chez les pauvres paroissiens de Brugeilles lorsqu’en septembre 1846, le transfert du siège de la paroisse est effectif.

Le 20 septembre 1846, le curé de Blesle consacre l’église de Torsiac. Par affection pour ses brebis de Brugeilles, le curé Charbonnier présent depuis tant d’années à leurs côtés, amorce une tentative pour décélérer le mouvement .

Au curé de Blesle qui lui donne les instructions de l’évêché, le brave religieux répond que la nouvelle église de Torsiac « n’est pas encore pourvue des objets nécessaires au culte ». Faute de presbytère, même temporaire, il ne peut loger dans ce lieu. Le château et ses occupants sont prêts à lui offrir la table et le logement, mais le prêtre rejette la proposition en prétextant sa crainte de gêner l’intimité de la famille présente en ces lieux.

Jugeant la position du curé Charbonnier de « délicate », l’évêque se garde bien de donner des ordres à son curé, craignant de perdre « ses paroissiens de Brugeilles ».

Les habitants de Brugeilles, dans un sursaut d’exaspération, sollicitent les autorités en septembre 1846, pour que leur village devienne chef-lieu de la commune.

Cette demande est rejetée officiellement le 2 janvier 1847.

Ce refus est complété par la maladresse et la provocation de la phalange favorable au retour du curé à Torsiac. On décide de transférer le mobilier curial de Brugeilles à Torsiac.


4 - C’est la rébellion …
Brugeilles_Eglise.jpg
Le 22 juillet 1847, c’est une expédition peu préparée qui part de Torsiac, maire en tête muni de son écharpe tricolore et encadré de deux pauvres malheureux gendarmes de Blesle requis à l’occasion.

Ils sont fermement attendus par le vaillant peuple de Brugeilles, une soixantaine paraît-il, armés de pioches, de faucilles et surtout de pierres. Les belligérants s’opposent à toute pénétration dans leur église au défi d’écraser à coups de pierre les trois officiels. Le maire est pris au revers de veste par une femme, plus exaltée que les autres, qui le menace physiquement.

Huées, menaces et la pression du nombre , contraignent maire et gendarmes à battre le repli pour s’en retourner d’où ils viennent.

L’incident est rapporté au sous-préfet qui le rapporte au préfet, qui le rapporte au ministre …et force reste à la loi.

Cinq jours plus tard, la deuxième expédition fait l’objet d’une meilleure préparation. Le procureur du roi de Brioude, le juge d’instruction, solidement encadrés par les effectifs de deux brigades de gendarmerie vont avoir raison de la détermination des insoumis. Le curé, le mobilier curial quittent Brugeilles pour Torsiac.

Le 27 juillet , le nouvel évêque du Puy, Auguste de Morlhon, prend une position ferme à l’égard des paroissiens de Brugeilles. Il écrit à son curé « Veuillez leur dire de ma part qu’après avoir examiné attentivement leur demande d’érection de leur église en paroisse, j’ai reconnu qu’il n’y avait pas lieu de lui donner la moindre suite et que leurs tentatives à cet égard demeureront sans résultat ».


5 - La coupe est pleine …
Les gens de Brugeilles acceptent de mauvais gré, mais cette soumission n’est qu’apparente.



Une occasion de faire la démonstration de leur colère se présente en août 1847. Le 14 août décède la veuve Marie Barthomeuf à l’âge de 80 ans dont la fille s’oppose à l’inhumation dans le cimetière de Torsiac. On se cotise et on décide l’achat d’un terrain à Brugeilles destiné à être lieu de sépulture des villageois. Rassurée, la fille Barthomeuf consent à cette inhumation et en attendant que les formalités les plus élémentaires soient remplies, le corps de la défunte est placée dans l’église du village.

Trois jours plus tard, l’inhumation a lieu dans un champ près du village appartenant à Louis Gardès et en présence du garde-champêtre qui, rapporte-t-on, chantait la prière des morts !.

Le 18 août, les gendarmes de Blesle viennent prendre acte de l’illégalité de ce nouveau cimetière. La maréchaussée constate que les braves de Brugeilles construisent un mur d’enceinte dans ce futur champ de repos. Les pandores dressent alors procès-verbal.

Quelques jours plus tard, le Sous-Préfet tient à minimiser les faits en accusant « quelques jeunes gens échauffés par libations de la veille » et que « la présence du garde champêtre valait autorisation d’inhumer », ce qui supprime tout délit répréhensible.

Dans un courrier du 21 décembre 1847 , l’évêque, en parlant des gens de Brugeilles, confirme « Je ne leur donnerai aucun espoir pour l’érection de leur église en succursale, ce serait un non sens… Je crois qu’il est bon de laisser les gens de Brugeilles s’user en vaines réclamations et inutiles efforts ».


6 - Un pasteur protestant officie dans l’église catholique !
Furieux d’être dépourvus de « tout secours religieux » et surtout de ne pas être entendus, les habitants de Brugeilles décident tous en bloc de passer dans le camp de l’Église Réformée. Ainsi, ils auront leur lieu de culte et leur pasteur.



En février 1848, ils installent un pasteur protestant et sa famille à qui ils confient le soin de célébrer offices et sacrements.

L’église de Torsiac, doit-on le rappeler, est construite avec les deniers de la commune. Boisset de Torsiac propose de payer à la place des habitants de Brugeilles les travaux d’édification de l’édifice. Mais l’évêque le déconseille fortement et considère que cet élément constituerait un fâcheux précèdent.

Mais l’évêque est contraint « d’avaler sa mitre ». La présence de ce pasteur protestant est un véritable scandale où se mêlent désordre et débauche ! En avril 1848, il cède en installant à ses frais un prêtre « pour y remplir les fonctions de curé ». L’officialisation de la création d’une paroisse à Brugeilles interviendra en 1853.

Le pasteur quitte Brugeilles, et aussitôt les habitants redeviennent catholiques avec la même facilité indifférente qu’ils s’étaient proclamés calvinistes.

Pour clore le chapitre cultuel, en décembre 1848, le brave curé Charbonnier s’en va prendre les destinées de la paroisse de Chambezon. A son sujet l’évêché du Puy s’adresse au nouveau maire, Boisset de Torsiac, en ces termes « cet ecclésiastique animé d’ailleurs de bonnes intentions ne pouvait pas convenir dans les circonstances actuelles ainsi que vous eu la bonté de nous le dire à Torsiac ».

De tels propos en disent long sur la collusion des autorités civiles et religieuses en faveur du lieu Torsiac, mais les habitants de Brugeilles ont eu gain de cause… Chacun sa paroisse et son église, c' est fait, il y a maintenant une paroisse à Torsiac et une paroisse à Brugeilles pour une seule et même commune !.


7 - Les difficultés du curé de Torsiac cinquante ans plus tard …
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Si la fréquentation de l’église de Brugeilles ne pose aucun tracas au curé en place, la situation de sa voisine est plus préoccupante pour les autorités ecclésiastiques.

L'église de Torsiac censée regrouper les villages de Samson et de Marmaissat compte officiellement une centaine de paroissiens.

Précédemment vicaire à Jullianges, le curé Bard, âgé de 33 ans, installé depuis le 1er juillet 1891 dresse l’état spirituel et temporel de sa territorialité au début de l’année 1892.

Il évoque les grandes difficultés à faire procéder au baptême dans les jours qui suivent la naissance des enfants. « Ce délai est de 8 à 15 jours, précise-t-il et d’invoquer négligence et indifférence ».

Alors que l’évêché demande à ce que le catéchisme préparatoire à la confirmation soit fait régulièrement, le curé répond : « Il se fera trois mois avant la confirmation ». Quand à la confession des confirmands, c’est une réponse laconique qui tombe « On les confessera plusieurs fois, si on peut les avoir ».

En 1891, 20 paroissiens ont communié pour Pâques, « 5 hommes dont 3 appartiennent au personnel du château » renchérit le prêtre et il ajoute « plusieurs femmes n’ont pas fait leurs Pâques ».

Pour les fêtes de l’Assomption, Noël, Toussaint, seules 12 personnes employées au château ou dans ses dépendances se présentent à la table de communion.

Peu de gens fréquentent le confessionnal, 4 à 5 seulement à la confession mensuelle.

La préparation au mariage est « superficielle » mais au moins les futurs époux passent à confesse.

Le repos du dimanche n’est pas observé, la messe dominicale est suivie par 3 à 5, parfois10, paroissiens qui font un effort « aux jours de grande fêtes », « presque tous » rapporte le curé.

Aucun homme ne participe aux vêpres, deux à trois femmes y assistent régulièrement.
Seul le personnel du château est présent au « Mois de Marie » .
Aux offices, le curé compte un seul enfant de chœur et «pas toujours » précise-t-il. Quant à leur formation, elle n’existe pas faute de candidats.
Le chœur des chanteuses n’est pas constitué, et de conclure que la moralité des paroissiens est « passable ».
Le curé est entouré de sa mère âgée de 68 ans, de sa tante âgée de 83 ans et de sa servante Marie Gaillard âgée de 59 ans et à son service depuis juin 1889. Le prêtre déplore la médiocrité de ses revenus. « Casuel insignifiant, pas de messe, bien difficile à vivre ayant à charge ma mère » écrit-il.
Le Conseil de Fabrique, susceptible d’administrer la paroisse n’assume plus ses responsabilités. Notre curé indique « On ne peut faire venir ces pauvres fabriciens. N’assistent pas à la messe. On a toutes les peines du monde pour les faire assister à la réunion de Quasimodo ; encore y- a- t-il des membres absents. J’ai essayé … c’est inutile ; gens trop routiniers et indifférents ».
Les paroissiens ont donc abandonné les lieux. Où sont-ils ? La volonté d’un seul homme appuyée par la hiérarchie de l’Église n’a-t-elle pas fortement éveillé, et pour longtemps, une banale rivalité de clochers ?
Faut-il voir dans ce mini désert spirituel une intervention céleste lançant un clin d’œil complice et affectif aux braves gens de Brugeilles ?





8 - Evolution démographique de la commune de Torsiac

Villages Année 1820 Année 1831 Année 1846 Année 1851 Année 1856 Année 1872 Année 1886
Torsiac 11 N.C 23 30 17 18 27
Brugeilles 221 N.C 174 170 156 146 141
Pouzols 11 N.C 9 0 0 0 0
Marmaissat 101 N.C 81 88 56 35 46
Samson 67 N.C 67 59 68 39 39
Moulin de Brugeilles 5 N.C 0 0 0 0 0
Commune 416 413 354 347 297 238 252





  • Recensement de 1851 :
    A Torsiac les habitants sont répartis dans trois maisons. Parmi le personnel du château, on relève : Un homme d'affaires, une cuisinière, une gouvernante, une fille de chambre, sept domestiques, deux vignerons, un jardinier, quatre meuniers, deux fermiers,deux cultivateurs. Le curé Auguste Bérard est hébergé au presbytère avec sa servante Marie Fellu
    A Brugeilles, le curé Jean Baptiste Arnaud est le prêtre desservant.

  • Recensement de 1856 :
    A Torsiac, les membres de la famille de Boisset de Torsiac ne figurent pas dans le recensement.
    Au presbytère vit le curé Jean Redon et sa servante Marie Chibou.

  • Recensement de 1872 :
    A Torsiac, on note deux habitants au presbytère dont le curé Antoine Lavialle futur curé de Bournoncle, à l'école présence de l'institutrice et de deux élèves en pension.
    A Brugeilles , le curé Jacques Nugier a succédé au curé Arnaud. Parmi la population on relève : un tisserand, quatre employés de la compagnie du Paris-Orléans, un meunier, un charron, un sabotier et une aubergiste.



Décembre 2012


Article : ICI
voir la chronique de Raymond CAREMIER ICI





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