TORSIAC
– QUERELLE DE CLOCHERS POUR UNE PAROISSE (1845-1848)
En
1789, Torsiac, relève du duché de Monpensier pour les cas prévus
par un règlement de l’année 1614, et pour les cas royaux de la
sénéchaussée d’Auvergne appelée également sénéchaussée de
Riom. La paroisse appartient à la province d’Auvergne, élection
d’Issoire et de la subdélégation de Lempdes.
Dépendante
du diocèse de Clermont et de l’archiprêtré d’Ardes, l église
paroissiale est dédiée à Saint Saturnin.
L’Assemblée
Nationale dans ses séances de 26 et 29 janvier 1790 décrète la
constitution définitive du département du Velay. La délibération
du 26 février suivant donne le nom de « département de la
Haute-Loire » qui comprendra trois districts (futurs
arrondissements) et trente deux cantons.
La
loi du 17 février 1800 instituant les préfectures et les
arrondissements confirme les découpages. La commune de Torsiac va
donc appartenir au canton de Blesle et au district de Brioude. Sur le
plan spirituel, son église est rattachée au diocèse du Puy.
1
- Le curé de Torsiac quitte son église pour Brugeilles
A
la limite des départements de la Haute-Loire et du Puy de Dôme le
village de Torsiac domine la rive gauche de la rivière
Allagnon.
Une querelle vient à ébranler la commune qui
dispose de deux églises, une située à Torsiac (chef-lieu de la
commune avec une petite dizaine d’habitants), l’autre au village
de Brugeilles (plus de 220 habitants).
Le presbytère de
Torsiac, pratiquement insalubre, a été abandonné par le prêtre
qui a décidé d’aller vivre au village de Brugeilles située à
deux kilomètres de là. Ce village dispose d’un presbytère
beaucoup plus confortable que celui du village voisin.
L’église
de Torsiac, elle aussi en mauvais état, est condamnée à être
démolie. Malgré les timides protestations des paroissiens
torsiacois, les offices sont transférés à Brugeilles en 1825 et ce
recentrage entraîne inévitablement un point d’ancrage cultuel
vers ce village en plein développement.
Jusqu’en
1845, tout allait dans le meilleur des mondes, lorsque le châtelain
local Adrien de Boisset de Torsiac décide d’utiliser le château
comme résidence secondaire. Cette nouvelle est agrémentée de la
ferme intention de rétablir le culte à Torsiac, auquel appartient
le droit, et d’y faire construire une église.
Mais à
Brugeilles, on joue sur la prédominance du nombre de
paroissiens.
En 1820, à l’instar de Torsiac qui ne compte
que 11 habitants, Brugeilles domine l’ensemble de la commune avec
ses 226 habitants.
En 1846, la population de Torsiac augmente
de quelques unités. Outre les membres de la famille de M. de
Torsiac, la population en grande partie composée du personnel du
château, atteint 23 habitants.
Mais la grogne s’installe à
Brugeilles lorsqu’on apprend que le funeste projet du châtelain
commence à prendre forme.
Avec l’argent des contribuables,
la construction de la nouvelle église de Torsiac avance. Le
châtelain qui avait promis de céder gratuitement le terrain pour la
construction de l’édifice et de son presbytère exécute sa
promesse. Cette opération est appuyée par le conseil municipal du
13 mai 1846 qui accepte cette cession.
La décision du conseil
municipal est validée par le Sous-Préfet de Brioude en août 1846,
l’évêque du Puy fait de même le 26 septembre 1846, accompagné
en cela par le Préfet le 2 novembre suivant.
La
tension monte. A l’ un des représentants des paroissiens de
Brugeilles, l’évêque affirme que « la loi est pour Torsiac » et
complète ses propos en précisant son approbation à la présence
permanente du curé à Torsiac, tout en « donnant des soins » à
Brugeilles.
Coup de massue chez les pauvres paroissiens de
Brugeilles lorsqu’en septembre 1846, le transfert du siège de la
paroisse est effectif.
Le 20 septembre 1846, le curé de
Blesle consacre l’église de Torsiac. Par affection pour ses brebis
de Brugeilles, le curé Charbonnier présent depuis tant d’années
à leurs côtés, amorce une tentative pour décélérer le mouvement
.
Au curé de Blesle qui lui donne les instructions de
l’évêché, le brave religieux répond que la nouvelle église de
Torsiac « n’est pas encore pourvue des objets nécessaires au
culte ». Faute de presbytère, même temporaire, il ne peut loger
dans ce lieu. Le château et ses occupants sont prêts à lui offrir
la table et le logement, mais le prêtre rejette la proposition en
prétextant sa crainte de gêner l’intimité de la famille présente
en ces lieux.
Jugeant la position du curé Charbonnier de «
délicate », l’évêque se garde bien de donner des ordres à son
curé, craignant de perdre « ses paroissiens de Brugeilles ».
Les
habitants de Brugeilles, dans un sursaut d’exaspération,
sollicitent les autorités en septembre 1846, pour que leur village
devienne chef-lieu de la commune.
Cette demande est rejetée
officiellement le 2 janvier 1847.
Ce refus est complété par
la maladresse et la provocation de la phalange favorable au retour du
curé à Torsiac. On décide de transférer le mobilier curial de
Brugeilles à Torsiac.
Le
22 juillet 1847, c’est une expédition peu préparée qui part de
Torsiac, maire en tête muni de son écharpe tricolore et encadré de
deux pauvres malheureux gendarmes de Blesle requis à
l’occasion.
Ils sont fermement attendus par le vaillant
peuple de Brugeilles, une soixantaine paraît-il, armés de pioches,
de faucilles et surtout de pierres. Les belligérants s’opposent à
toute pénétration dans leur église au défi d’écraser à coups
de pierre les trois officiels. Le maire est pris au revers de veste
par une femme, plus exaltée que les autres, qui le menace
physiquement.
Huées, menaces et la pression du nombre ,
contraignent maire et gendarmes à battre le repli pour s’en
retourner d’où ils viennent.
L’incident est rapporté au
sous-préfet qui le rapporte au préfet, qui le rapporte au ministre
…et force reste à la loi.
Cinq jours plus tard, la deuxième
expédition fait l’objet d’une meilleure préparation. Le
procureur du roi de Brioude, le juge d’instruction, solidement
encadrés par les effectifs de deux brigades de gendarmerie vont
avoir raison de la détermination des insoumis. Le curé, le mobilier
curial quittent Brugeilles pour Torsiac.
Le 27 juillet , le
nouvel évêque du Puy, Auguste de Morlhon, prend une position ferme
à l’égard des paroissiens de Brugeilles. Il écrit à son curé «
Veuillez leur dire de ma part qu’après avoir examiné
attentivement leur demande d’érection de leur église en paroisse,
j’ai reconnu qu’il n’y avait pas lieu de lui donner la moindre
suite et que leurs tentatives à cet égard demeureront sans résultat
».
Les
gens de Brugeilles acceptent de mauvais gré, mais cette soumission
n’est qu’apparente.
Une occasion de faire la démonstration
de leur colère se présente en août 1847. Le 14 août décède la
veuve Marie Barthomeuf à l’âge de 80 ans dont la fille s’oppose
à l’inhumation dans le cimetière de Torsiac. On se cotise et on
décide l’achat d’un terrain à Brugeilles destiné à être lieu
de sépulture des villageois. Rassurée, la fille Barthomeuf consent
à cette inhumation et en attendant que les formalités les plus
élémentaires soient remplies, le corps de la défunte est placée
dans l’église du village.
Trois jours plus tard,
l’inhumation a lieu dans un champ près du village appartenant à
Louis Gardès et en présence du garde-champêtre qui, rapporte-t-on,
chantait la prière des morts !.
Le 18 août, les gendarmes de
Blesle viennent prendre acte de l’illégalité de ce nouveau
cimetière. La maréchaussée constate que les braves de Brugeilles
construisent un mur d’enceinte dans ce futur champ de repos. Les
pandores dressent alors procès-verbal.
Quelques jours plus
tard, le Sous-Préfet tient à minimiser les faits en accusant «
quelques jeunes gens échauffés par libations de la veille » et que
« la présence du garde champêtre valait autorisation d’inhumer
», ce qui supprime tout délit répréhensible.
Dans un
courrier du 21 décembre 1847 , l’évêque, en parlant des gens de
Brugeilles, confirme « Je ne leur donnerai aucun espoir pour
l’érection de leur église en succursale, ce serait un non sens…
Je crois qu’il est bon de laisser les gens de Brugeilles s’user
en vaines réclamations et inutiles efforts ».
Furieux
d’être dépourvus de « tout secours religieux » et surtout de ne
pas être entendus, les habitants de Brugeilles décident tous en
bloc de passer dans le camp de l’Église Réformée. Ainsi, ils
auront leur lieu de culte et leur pasteur.
En février 1848,
ils installent un pasteur protestant et sa famille à qui ils
confient le soin de célébrer offices et sacrements.
L’église
de Torsiac, doit-on le rappeler, est construite avec les deniers de
la commune. Boisset de Torsiac propose de payer à la place des
habitants de Brugeilles les travaux d’édification de l’édifice.
Mais l’évêque le déconseille fortement et considère que cet
élément constituerait un fâcheux précèdent.
Mais l’évêque
est contraint « d’avaler sa mitre ». La présence de ce pasteur
protestant est un véritable scandale où se mêlent désordre et
débauche ! En avril 1848, il cède en installant à ses frais un
prêtre « pour y remplir les fonctions de curé ».
L’officialisation de la création d’une paroisse à Brugeilles
interviendra en 1853.
Le pasteur quitte Brugeilles, et
aussitôt les habitants redeviennent catholiques avec la même
facilité indifférente qu’ils s’étaient proclamés
calvinistes.
Pour clore le chapitre cultuel, en décembre
1848, le brave curé Charbonnier s’en va prendre les destinées de
la paroisse de Chambezon. A son sujet l’évêché du Puy s’adresse
au nouveau maire, Boisset de Torsiac, en ces termes « cet
ecclésiastique animé d’ailleurs de bonnes intentions ne pouvait
pas convenir dans les circonstances actuelles ainsi que vous eu la
bonté de nous le dire à Torsiac ».
De tels propos en disent
long sur la collusion des autorités civiles et religieuses en faveur
du lieu Torsiac, mais les habitants de Brugeilles ont eu gain de
cause… Chacun sa paroisse et son église, c' est fait, il y a
maintenant une paroisse à Torsiac et une paroisse à Brugeilles pour
une seule et même commune !.
Si
la fréquentation de l’église de Brugeilles ne pose aucun tracas
au curé en place, la situation de sa voisine est plus préoccupante
pour les autorités ecclésiastiques.
L'église de Torsiac
censée regrouper les villages de Samson et de Marmaissat compte
officiellement une centaine de paroissiens.
Précédemment
vicaire à Jullianges, le curé Bard, âgé de 33 ans, installé
depuis le 1er juillet 1891 dresse l’état spirituel et temporel de
sa territorialité au début de l’année 1892.
Il évoque
les grandes difficultés à faire procéder au baptême dans les
jours qui suivent la naissance des enfants. « Ce délai est de 8 à
15 jours, précise-t-il et d’invoquer négligence et indifférence
».
Alors que l’évêché demande à ce que le catéchisme
préparatoire à la confirmation soit fait régulièrement, le curé
répond : « Il se fera trois mois avant la confirmation ». Quand à
la confession des confirmands, c’est une réponse laconique qui
tombe « On les confessera plusieurs fois, si on peut les avoir
».
En 1891, 20 paroissiens ont communié pour Pâques, « 5
hommes dont 3 appartiennent au personnel du château » renchérit le
prêtre et il ajoute « plusieurs femmes n’ont pas fait leurs
Pâques ».
Pour les fêtes de l’Assomption, Noël,
Toussaint, seules 12 personnes employées au château ou dans ses
dépendances se présentent à la table de communion.
Peu de
gens fréquentent le confessionnal, 4 à 5 seulement à la confession
mensuelle.
La préparation au mariage est « superficielle »
mais au moins les futurs époux passent à confesse.
Le repos
du dimanche n’est pas observé, la messe dominicale est suivie par
3 à 5, parfois10, paroissiens qui font un effort « aux jours de
grande fêtes », « presque tous » rapporte le curé.
Aucun
homme ne participe aux vêpres, deux à trois femmes y assistent
régulièrement.
Seul
le personnel du château est présent au « Mois de Marie » .
Aux
offices, le curé compte un seul enfant de chœur et «pas toujours »
précise-t-il. Quant à leur formation, elle n’existe pas faute de
candidats.
Le
chœur des chanteuses n’est pas constitué, et de conclure que la
moralité des paroissiens est « passable ».
Le
curé est entouré de sa mère âgée de 68 ans, de sa tante âgée
de 83 ans et de sa servante Marie Gaillard âgée de 59 ans et à son
service depuis juin 1889. Le prêtre déplore la médiocrité de ses
revenus. « Casuel insignifiant, pas de messe, bien difficile à
vivre ayant à charge ma mère » écrit-il.
Le
Conseil de Fabrique, susceptible d’administrer la paroisse n’assume
plus ses responsabilités. Notre curé indique « On ne peut faire
venir ces pauvres fabriciens. N’assistent pas à la messe. On a
toutes les peines du monde pour les faire assister à la réunion de
Quasimodo ; encore y- a- t-il des membres absents. J’ai essayé …
c’est inutile ; gens trop routiniers et indifférents ».
Les
paroissiens ont donc abandonné les lieux. Où sont-ils ? La volonté
d’un seul homme appuyée par la hiérarchie de l’Église
n’a-t-elle pas fortement éveillé, et pour longtemps, une banale
rivalité de clochers ?
Faut-il
voir dans ce mini désert spirituel une intervention céleste lançant
un clin d’œil complice et affectif aux braves gens de Brugeilles ?
Villages | Année 1820 | Année 1831 | Année 1846 | Année 1851 | Année 1856 | Année 1872 | Année 1886 |
Torsiac | 11 | N.C | 23 | 30 | 17 | 18 | 27 |
Brugeilles | 221 | N.C | 174 | 170 | 156 | 146 | 141 |
Pouzols | 11 | N.C | 9 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Marmaissat | 101 | N.C | 81 | 88 | 56 | 35 | 46 |
Samson | 67 | N.C | 67 | 59 | 68 | 39 | 39 |
Moulin de Brugeilles | 5 | N.C | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Commune | 416 | 413 | 354 | 347 | 297 | 238 | 252 |
- Recensement de 1851 :A Torsiac les habitants sont répartis dans trois maisons. Parmi le personnel du château, on relève : Un homme d'affaires, une cuisinière, une gouvernante, une fille de chambre, sept domestiques, deux vignerons, un jardinier, quatre meuniers, deux fermiers,deux cultivateurs. Le curé Auguste Bérard est hébergé au presbytère avec sa servante Marie FelluA Brugeilles, le curé Jean Baptiste Arnaud est le prêtre desservant.
- Recensement de 1856 :A Torsiac, les membres de la famille de Boisset de Torsiac ne figurent pas dans le recensement.Au presbytère vit le curé Jean Redon et sa servante Marie Chibou.
- Recensement de 1872 :A Torsiac, on note deux habitants au presbytère dont le curé Antoine Lavialle futur curé de Bournoncle, à l'école présence de l'institutrice et de deux élèves en pension.A Brugeilles , le curé Jacques Nugier a succédé au curé Arnaud. Parmi la population on relève : un tisserand, quatre employés de la compagnie du Paris-Orléans, un meunier, un charron, un sabotier et une aubergiste.
Décembre
2012
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