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mercredi 20 février 2013

LEOTOING : Des demoiselles en visite et un curé à leurs trousses




Un ratichon(*) irascible

Pour livrer des marchandises à différents clients, un commerçant brivadois s'était rendu, mercredi dernier, dans un petit village coquettement assis sur la rive droite de l'Allagnon. Par sa situation même, l'endroit a acquis une juste renommée pour ses alléchantes fritures.

Le commerçant n'était point seul : sa jeune demoiselle et deux des amies de celle-ci l'accompagnaient.

Tandis qu'il procédait à la distribution de ses divers colis, les jeunes filles lui demandèrent la permission d'aller visiter l'église communale et les ruines d'un ancien château, qui dominent les rives sinueuses, autant que superbes, de l'Allagnon.

Cette permission leur fut accordée avec empressement.

Riant et devisant gaiement entre elles, les trois amies gravirent le chemin abrupt et rocailleux qui conduit du petit village à l'ancien manoir de disparus seigneurs d'Auvergne, et firent l'honneur de leur première visite à l'église communale de l'endroit.

Une fois leur enfantine et bienveillante curiosité satisfaite, elles se retiraient, non sans avoir, chacune, déposé leur offrande, d'abord dans le tronc de la Vierge, puis dans celui de saint Vincent, ensuite dans le tronc de saint Antoine de Padoue, quand, ô surprise ! À leur sortie du lieu sacro-saint, un ratichon, dont la sobriété et la tempérance sont bien connues dans le région , les apostropha ainsi :

  • Qu'êtes-vous venues faire dans mon église, espèces de gourgandines (le mot est textuel)
Effrayées par le ton du sacré personnage, par sa tenue équivoque et ses allures quelque peu désordonnées, les trois jeunes filles s'enfuirent à toutes jambes, sans mot dire, et, arrivées à peu de distance du vieux château, se croyant débarassées de l'irascible ratichon, crurent pouvoir visiter les ruines.

Tout à coup, une voix éraillée se fait entendre: «  Qu'elles ne nous échappent pas, faites bien attention, cernez-les! », et un deuxième acteur rentre en scène, Gambette, le bedeau, le fossoyeur, le majordome, le gardien de la précieuse personne du sacré ratichon, armé d'un énorme gourdin, court, vole, se précipite, s'efforçant de suivre en tous points les recommandations de son seigneur et maître. Ils avaient heureusement compté sans la jeunesse et la vigueur des jarrets des trois touristes qui, au risque de se rompre vingt fois le cou, dégringolent les rochers, franchissent les fossés, eurent tôt fait de mettre, entre elles et leurs traqueurs, une respectable distance, au point que Gambette et son très aimable ratichon n'en revenaient pas.
Après une course folle, ayant une partie de leurs vêtements déchirés par les ronces et les buissons, leurs chaussures éraillées ou coupées par les pierres aiguës, les trois amies arrivent au petit village dans un état que comprendront seules les personnes qui se figureront un endroit hérissé d'obstacles de toute nature, que les fillettes venaient de franchir sur les ailes de la peur et de l'affollement.

Une fois en lieu sûr, elles racontèrent leur aventure et eurent grand'peine à empêcher le commerçant d'aller infliger aux deux mécréants la correction qu'ils avaient si bien méritée.

C'eût été une bonne occasion de rappeler à ce ratichon que l'église ne lui appartient pas, et qu'il met bien mal en pratique les exemples de charité, de bienveillance et de tolérance du Christ, qu'il rappelait naguère dans un de ses sermons. Mais à tout seigneur tout honneur. Disons qu'à cet endroit, et à quelques lieues à la ronde, ce sobre ratichon jouit d'une célébrité qui inciterait Bacchus lui-même, s'il était de ce monde, à pécher par envie.

Journal “Le Radical de Brioude” paru le 13 avril  1907.

(*) prêtre


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