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dimanche 1 septembre 2013

SAINT-ETIENNE SUR BLESLE : Le tourment du curé Begon


Le tourment du curé Begon


A l'extrêmité nord-ouest du département, le canton de Blesle pousse une pointe qui semble être une morsure faite en terre cantalienne. Sur ce cap avancé de la Haute-Loire se déroula, il y a maintenant plus de deux cents ans, un événement extraordinaire qui déchaîna bien des passions.
Cette étrange histoire commença au matin du 25 Janvier 1771. Ce jour-là, où plutôt cette matinée-là, alors qu'une pâle clarté s'ouvre enfin dans le ciel d'hiver, un jeune garçon, monté du Cheylat, s'engage dans le vallon de Farges à la poursuite de quelques grives affamées. Dans le ruisseau les eaux sont prises et ne courent plus, la morsure du froid est douloureuse, l'émail des forêts a perdu ses vives couleurs et dans les prés jaunis, frissonnant au vent léger, quelques touffes d'herbe rase étalent leur pâle bouquet par-dessus la gelée blanche. Pas un bruit, la campagne est toute de silence, et derrière l'écran de nuages qui le resserre, on jurerait bien que ce satané soleil d'hiver ne sait plus regarder la terre.
Le jeune chasseur avance avec prudence quand soudain, il heurte du pied une botte disposée malencontreusement dans le travers du ruisseau. La chose en soi eut été presque banale, seulement voilà : la botte n'était point seule !, son propriétaire est là qui git dans un trou d'eau, la tête enserrée dans un étau de glace. Un moment paralysé par la stupeur, notre garçon se sent pousser des ailes, grimpe à la hâte le talus , se déchire l'habit sur le piquant des buissons, glisse, tombe, se relève et repart de plus belle, tandis que sur son visage défait se lit toute l'horreur de sa découverte. Il court..., il court... le village est en vue.


La justice est en marche


Jean Volpel, procureur fiscal en la justice de Blesle en prévient immédiatement le juge de la localité : Etienne Segret et son greffier Jean-François Barrès. On se rend sur les lieux. Jean Rivet, fils d'autre Jean Rivet, de Farges, gît à terre, inanimé, tête-bêche dans le ruisseau !.Il est vêtu d'une veste couleur brune en étoffe du pays, d'une culotte et bottes de même ton, d'une chemise blanche, d'une ceinture de toile autour des reins munie de courroies de cuir ; dans ses poches on trouve un morceau de pain rassi, un couteau au large manche de bois, un mouchoir, un peigne, un étui de fusil, et dans l'un des goussets une petite bourse avec à l'intérieur un tire-bourre, quelques plombs et trois sols de monnaie. Près du cadavre un chapeau et la crosse d'un fusil. Le corps est examiné. Pas de traces de sang ni de blessures !, seulement "une noirceur de la peau des deux côtés de la trachée artère occasionnée par compression, les veines jugulaires étant fort saillantes et engorgées, l'estomac fort élevé, le visage coloré, ce qui fait croire à une suffocation". Le cadavre a du se trouver un moment dans l'eau  : tous ses vêtements sont raidis par la glace !. On le transporte à Blesle où il est livré à l'examen du Prieur-médecin. Ce dernier conclut à une noyade et le cadavre est inhumé dans le cimetière des pauvres en la paroisse de Saint-Pierre de Blesle.

Monsieur le Curé est-il l'assassin ?


A quelques temps de là, survint un incroyable coup de théâtre : le curé est soupçonné être l'auteur du crime !. Marc Antoine Begon, curé de Saint-Etienne-sur-Blesle en résidence au Chaylat où se trouvait une chapelle, en fut tout abasourdi.
Ce bon prêtre, âgé de quarante-cinq ans vivait jusqu'à ce jour, heureux, dans la douce paix qu'avait bien voulu lui accorder le Seigneur ; bénissant de ci, de là, accordant des pardons à gauche, puis à droite, ni moins, ni plus qu'il ne fallait, conduisant ses paroissiens du mieux qu'il le pouvait, sans toutefois oublier, entre deux messes, de faire bonne chère.
Seulement voilà : Antoine Rivet, frère de la victime et Jean Ducher, son cousin affirmèrent avoir aperçu le curé sur les lieux du crime. Ils ajoutaient même que pour éviter d'être reconnu le prêtre s'était blotti dans le coin d'une muraille. De plus on avait retrouvé près du cadavre la crosse d'un fusil, or, trois jours après le meurtre, Antoine Rivet qui gardait les moutons près de Farges sur le tènement de Champclos, avait retrouvé l'autre partie du fusil. Les officiers de justice de Blesle se rendirent à Farges pour interroger Antoine Rivet et récupérer cette partie du fusil afin de la déposer au greffe, auprès de celle qui s'y trouvait déjà. C'était bien le même et unique fusil, celui dont précisément se servait le curé Begon dans ses parties de chasse faites en compagnie de Laurent-Joseph Segret, bourgeois de Védrines. Du coup, le prêtre devint le suspect numéro un. L'abbé Begon nia énergiquement : un gredin, disait-il, lui avait dérobé le fusil au presbytère, un jour de messe. Mais il ne put le prouver...
La rumeur publique s'en empara et l'on sait combien elle est vive. Notre bon curé eut bien voulu s'expliquer en public, il avait même envisagé de le faire en chaire, à l'église, mais hélas !, depuis ce temps maudit, les araignées filaient dans son confessionnal, la nef restait désespérément vide et silencieuse, les paroissiens boudaient ses sermons et les dévoreuses d'hosties ne se présentaient même plus devant le saint-ciboire. Le bon prêtre en avait le coeur tout meurtri, et toujours il demandait à Dieu de ne pas le laisser mourir avant que ne soit faite la lumière. Le temps passa...
Le saint homme en perdit le boire et le manger et la nuit lorsque le sommeil le prenait enfin, d'affreux petits diablotins, cornus à souhait, venaient habiter ses pensées, le poursuivaient de leurs fourches pointues le piquaient par derrière en ricanant affreusement, et lui criaient au creux de l'oreille : "assassin !, assassin !". Le pauvre homme se réveillait alors en sursaut, tout baigné de sueur, et la peur au ventre, priait à deux genoux, égrenant jusqu'à les user tous les grains de son chapelet.
Mais les prières et lamentations de l'abbé Begon semblaient se perdre dans les nuages sans jamais atteindre les cieux. L'abbesse de Blesle, dame Marie-Claire de Pons fut priée de retenir en sa possession et jusqu'à nouvel ordre l'argent de la portion congrue qu'elle servait au curé.

La vérité éclate enfin

Une telle situation ne pouvait durer dans la paroisse de Saint-Etienne-sur-Blesle. Monsieur le Curé dépérissait à vue d'oeil et n'était plus que l'ombre de lui-même. Sa bonhomie familière avait disparu, la solitude lui pesait tant et si bien que lorsqu'il se hasardait hors du presbytère, on eut dit quelque étrange apparition tout droit venue d'outre-tombe.
C'était pitié de le voir et les gens en avaient le coeur à l'envers, aussi une poignée de fidèles qui n'avaient jamais cru à une infamie pareille manifesta son soutien au saint homme. Cela lui fit du bien et il en retrouva un peu d'appétit.
Peu à peu les langues se délièrent : "ça devait arriver un jour ! chuchotaient les femmes de Farges, trop de rancoeur s'était accumulée entre le père et le fils depuis le mariage de ce dernier en avril 1769 !, un soir le fils avait même tâté du bâton pour une sombre question d'argent, d'intérêt ou d'héritage !" Et la vérité éclata...
Le 23 ou 24 Janvier, alors que le crépuscule s'emparait peu à peu des crêtes environnantes, Jean rivet, de Farges commit le crime le plus énorme : il assassina son fils!. Comment les choses s'étaient-elles passées exactement ? On l'ignore. D'après les uns la dispute aurait éclaté à la maison au retour de Rivet père qui y trouva son fils venu  voir ses frères et réclamer un peu d'argent. Etranglé, le cadavre aurait été transporté au ruisseau pour simuler une noyade. d'après d'autres tout se serait déroulé au dehors, près d'un tertre dominant l'eai où l'on trouve des taches de sang et les traces de bottes de la victime.

Quoi qu'il en soit, le brave curé Begon qui venait de vivre un log tourment fut lavé de tout soupçon. Le 10 Octobre 1771, l'officialité de Saint-Flour lui faisait restituer ses meubles sans avoir à payer des droits de garde. Il continua son ministère dans sa chère paroisse, reprit du poids, accorda à nouveau des pardons, officia avec bonhomie jusqu'au 19  Novembre 1784, date de sa mort. Paix à ses cendres !

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