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lundi 9 septembre 2013

Le château de Léotoing

Château de Léotoing

Depuis Montjovis au-dessus de Langeac, depuis Mercoeur, l'ancien et fier castel d'Ardes sur Couze, comme aussi de la Tour de Vichel ou du Puy Saint-Romain – hauts lieux d'Auvergne employés de tout à la transmission des nouvelles, depuis les Celtes jusqu'à Chappes – on le voyait ce château-fort de Léotoing qui, avec son donjon découronné tel un doigt levé vers le ciel et ses appartements à corbeaux, demeure encore, vigilantes pierres, le gardien tutélaire de cette magnifique vallée de l'Allagnon.

Si le touriste qui va de Lempdes à Massiac ne songe à l'apercevoir au-dessus de sa route à gauche, par contre à son retour, dès l'entrée à Lanau, la hautaine silhouette des ruines prestigieuses encore du vieux castel s'impose et capte l'attention.

Il est possible d'atteindre Léotoing soit par la route venant de Grenier-Montgon, soit par celle de Blesle, en prenant à droite dès l'entrée à Lanau, soit aussi par Lempdes, en ne prenant ni à droite, ni à gauche – ni Aurillac, ni Brioude – mais en allant droitement passer la voie ferrée et son incommode dos d'âne. C'est ce qu'on appelle prendre « la route impériale ». A une lieue de Lempdes, après trois virages en épingles à cheveux et une bonne montée, en pointe avancée, au ponant, vous apparaîtra le château.

Il faut laisser sa voiture à l'entrée du village et aller à pied. Vous franchirez alors une porte gothique du XIIIe siècle qui marque l'entrée de l'ancien rempart disparu et vous vous trouverez dans la basse-cour du temps jadis.

De ce temps-là, on ne possède que fort peu de documents sur les origines et l'histoire de Léotoing. Il faut éplucher le cartulaire de Sauxillanges pour trouver trace de ses premiers seigneurs, trois frères et tous trois chevaliers, Bernard, Pierre et Béraud. Quinze années plus tard, sous le règne de Philippe 1er – nous sommes au temps de la première croisade, en 1095 – un Pons de Léotoing et ses fils font don au monastère de Sauxillanges de leurs droits sur l'église Saint-Vincent de Léotoing. On sait encore qu'un Antoine de Léotoing fut chanoine à St-Julien de Brioude vers 1080. Plusieurs Bernard, plusieurs autres Pierre se succède, chevaliers à Léotoing, ou moines à Sauxillanges, on note dans le spicilégium Brivatense, l'un des tous premiers, sans doute, et des plus importants documents historiques du Brivadois qu'un Durand fut chanoine-comte de Brioude.

Le châpitre de Brioude devint une institution assez extraordinaire qui mena grand train : ne fallait-il pas pour y entrer posséder au moins quatre quartiers de noblesse ! Et qui nécessita l'intervention successive de trois papes : LuciusII, Eugène III et Alexandre III pour mettre terme à ses scandaleuses orgies. Mais ceci est une autre et extravagante histoire.

Revenons donc à Léotoing... En 1241, le 17 février, Béraud de Léotoing, chevalier et deuxième du nom, signa une transaction intervenue entre Ameline, abbesse du couvent de Blesle et Béraud de Mercoeur, le farouche chasseur de loups d'Ardes-sur-Couze.
Béraud de Léotoing mourut vers 1250. Il était le dernier représentant de la branche aînée des Léotoing. Cinq années plus tard, Robert Ier, Dauphin d'Auvergne, qui depuis longtemps convoitait ce château contraignit la veuve à signer une transaction qui pratiquement la dépouillait de ses biens. Ainsi Robert, seigneur de Montrognon, seigneur de Vodable et de bien d'autres lieux devint seigneur de Léotoing qu'il légua à son second fils Hugues. Dès lors Léotoing incorporé au Dauphiné d'Auvergne suivit la fortune et le destin de ses puissants maîtres.

Le titre de Dauphin emprunté à une aïeule de Savoie par Guillaume VII, étant devenu un nom propre en 1262, Hugues Dauphin rend foi-hommage à Alphonse, Comte de Poitiers et frère de Saint-Louis, pour son château de Léotoing comme pour ceux également de Massiac, de Vernière et de Loubarcet.

Autour du donjon dressé sur son inaccessible pic, au fil des ans les Léotoing avaient édifié une remarquable forteresse. Le successeur d'Hugues, Béraud II, Dauphin d'Auvergne compléta l'ensemble en construisant un vaste logis d'une part, et de l'autre en agrandissant la chapelle qui devint l'église Saint-Vincent, que l'on peut admirer tout à droite des ruines. Il s'agit là d'un monument historique classé. La nef et la chapelle Sud peuvent être datées du XIe siècle, la chapelle des fonts baptismaux est, elle, du Xe.

Le dernier des Dauphins, Béraud III, mourut en 1426 ; son unique fille, Jeanne, porta Léotoing au Prince Louis de Bourbon, le premier Comte de Montpensier et grand-père du fameux Charles III de Bourbon , connétable de France dont on connaît les démêlés avec la jalouse et possessive Louise de Savoie. C'est elle qui poussa son fils François, le 1er du nom, à dépouiller Charles ! Les biens du connétable, tristement célèbre par sa trahison, mais dont les vraies responsabilités n'appartiennent qu'au roi passèrent à la couronne de France. Un bel héritage, avec les Comtés de Sancerre, de Clermont, et le Dauphiné d'Auvergne érigé en sa faveur en Comté de Montpensier, avec Aigueperse pour capitale ! Passé à la maison de France le château de Léotoing vit ses seigneurs, princes de sang, se désintéresser de son sort. A la suite d'une visite, le 27 Octobre 1703, le secrétaire de Philippe d'Orléans, frère cadet de Louis signale à son maître que le castel est dans le plus lamentable état, le plus complet abandon. Il n'avait donc pas attendu l'ordonnance de Richelieu qui en 1633 ordonnait le démantèlement des châteaux-forts. Déjà Léotoing servait de carrière de pierres aux paysans du coin.

Un petit sentier de chèvre permet d'en faire le tour et d'avoir une étonnante perspective sur la vallée de l'Allagnon. Les ruines dominent la rivière comme une réplique du vieux burg de Bacharat en Rhénanie. Il ne manque qu'une Loreleï pour descendre tremper ses longs cheveux dans l'Allagnon et y nouer les barques pour d'autres grottes que Calypso, à ceci près que notre rivière n'est pas le Rhin à Mayence.

On raconte pourtant une curieuse histoire. Du château de Léotoing, on voyait bien celui d'Auzon. Une jeune fille des seigneurs d'Auzon, Marguerite d'Espinchal, voulait épouser un jeune seigneur de Léotoing. Nait alors, comme on peut s'en douter une sombre et curieuse aventure qui ressemble – mais bien avant la lettre – à la tragédie des Montaigus et des Capulets ! Mais celle-là finira bien.

  • Tenez ce philtre magique, monseigneur, c'est une potion qui fera passer pour morte votre petite fiancée. Le temps au moins que pourront le croire ses parents et la mettre en terre. Mais il faudra vous hâter d'ouvrir le cercueil car il y aurait alors, si vous tardiez, de bien grands risques pour elle.

Les mains de Blanche de Paulet, la sorcière de Vic-le-Comte se refermèrent avidement sur la bourse pleine d'or que lui jeta son jeune visiteur.
Ce jeune visiteur, Hugues de Léotoing, à bride abattue s'en revint au château. Il fallait au plutôt entretenir Marguerite de cet étonnant projet: la faire croire morte à tous les d'Espinchal. Depuis un an déjà le damoiseau avait subtilement trouvé un moyen de communiquer, par feu – avec sa belle.

  • Vite mes amis, cria-t-il à deux valets dans la confidence, il faut allumer nos chandelles à la fenêtre du donjon dès que minuit sonnera.

Sur la haute tour du castel d'Auzon, deux vigiles pour le service de Marguerite faisaient le guet. La nuit était d'encre. L'un d'eux d'une flèche avait marqué la direction de Léotoing. Il fit une visée.

  • C'est le signal ! S'exclama-t-il, tu notes.

L'autre avait bien entendu. A son tour, il fit tel un indien de roman fonctionner sa lanterne. Au terme d'une brève conversation par simples signaux optiques, Marguerite sut qu'elle boirait son philtre magique le lendemain – une servante oserait l'apporter dans un panier de fruits – et que le surlendemain son réveil serait celui de l'amour.

Le surlendemain fut celui de la mort. De la mort apparente bien sûr. Marguerite dès sa potion bue tomba en catalepsie et le bruit du décès fit aussitôt accourir pleureurs et pleureuses à gages. Au soir, dit-on, messe dite, on la porta en terre au cimetière d'Auzon et chacun pleura sur tant de beauté perdue. Pas si perdue que cela !

  • Hâtez-vous compagnons, hâtez-vous !

Il était minuit passé. Damoiseau Hugues et ses deux amis remuaient la terre encore fraîche pour en extirper le cercueil. Pourtant l'orage grondait et l'on eut pu penser que le ciel se courrouçait de tant de noire supercherie.

Blanche de Paulet avait bien rempli son contrat. Quand Hugues ouvrit le cercueil, Marguerite dormait encore, mais avec un pouls si faible que tout ignorant l'eût cru morte sans rémission. La pluie cessa, entre deux lointains éclairs le pâle visage de la jouvencelle s'anima. Hugues la prit dans ses bras; le cercueil vide, lui, reprit sa place.

D'Auzon à Léotoing; quatre lieues à cheval, ce n'était pas le bout du monde!... Hugues et Marguerite ont vécu heureux, je crois, puisque bien cachés, si bien que nous n'avons jamais su combien d'enfants ils eurent.

Ce que nous savons et que les habitants du fief surent encore mieux que nous par contre, c'est que Robert et Hugues, de concert, rédigèrent une charte pour leurs serfs de Léotoing. Des prémices aux lois sociales du XXe siècle mais huit cents plus tôt ou presque. Cette charte exemptait les habitants de la « corvée ». Il faut bien se rappeler que le serf était alors corvéable à merci. Elle réglait aussi l'entretien des fortifications, le guet, la garde, la redevance due pour l'utilisation du four banal, le droit d'ost également, c'est-à-dire du service militaire en quelque sorte dû au seigneur et j'en passe... Mais il est bon de signaler que l'histoire de France n'est pas faite de nos seules campagnes « militaires », que la plupart de nos lois, dites sociales, ont leurs racines dans les mesures que du temps même de la féodalité des seigneurs, qui pouvaient être aussi hommes de sagesse et raison, ont su prendre.


Il faut bien rendre aux gaulois ce qui est aux gaulois, et aux seigneurs ce qui n'est pas au roi.


René CROZET - Chroniques extraordinaires des châteaux en Auvergne - Ed Horvath

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